Julien Sorel rencontre Madame de Rênal - Stendhal

Le XIXème siècle post-révolutionnaire, c’est le siècle où tout est possible. Et ça Julien Sorel, il l’a bien compris. Il est né chez les ploucs, mais il est intelligent et plein d’ambition (il sera même anobli !). Le Rouge et le Noir c’est un roman sur l’ambition de Julien et sur son apprentissage de la société et des milieux dans lesquels il va évoluer. D’ailleurs, c’est la signification du titre : le rouge symbolise l'armée et le noir le clergé. Durant tout le roman, Julien hésite entre l'armée et sa passion pour Napoléon, et le clergé, qui lui a permis d'effectuer ses études et a donc favorisé son ascension sociale.

Mais c’est aussi l’histoire d’un apprentissage sentimental : c’est en séduisant que Julien va assurer sa progression sociale. C’est la raison pour laquelle c’est un roman psychologique : tout y passe, ses pensées intérieures, son amour, ses ambitions, tout est analysé par le regard au laser de Stendhal, que ce soit chez Julien, chez Mme de Rênal ou chez Mme de La Mole. Tout le monde est nu sous la plume de Stendhal ! Cela peut être une autre signification du titre : le rouge, c’est la couleur de l’amour, le noir, celle de l’ascension sociale. Et tout le roman est la relation qu’entretiennent l’un et l’autre chez Julien.

Dans le passage qu’on va commenter, Julien rencontre pour la première fois Mme de Rênal qui va devenir son premier grand amour. Sauf que là, ni l’un ni l’autre ne se connaissent. Julien vient pour devenir précepteur des enfants de Mme de Rênal, la meuf de M. de Rênal, le maire-boss de la ville. Sauf qu’avant, le Juju, il était dans sa famille où personne sait lire : c’est l’intello de la famille et son paternel il supporte pas que son gamin soit une loque doublée d’une femmelette. Mais ça Louise de Rênal, elle le sait pas. Donc elle s’attend à voir débarquer un gros bûcheron austère qui va fouetter ses fils s’ils sont mauvais en latin.

Sauf que Juju, c’est pas ça : c’est de la tendresse, de l’ambition et un gros cœur qui va tomber in love. C’est le théâtre des sentiments, avec tous les jeux de scènes et les tragi-comédies qui vont avec.

Le XIXème siècle post-révolutionnaire, c’est le siècle où tout est possible. Et ça Julien Sorel, il l’a bien compris. Il est né chez les ploucs, mais il est intelligent et plein d’ambition (il sera même anobli !). Le Rouge et le Noir c’est un roman sur l’ambition de Julien et sur son apprentissage de la société et des milieux dans lesquels il va évoluer. D’ailleurs, c’est la signification du titre : le rouge symbolise l'armée et le noir le clergé. Durant tout le roman, Julien hésite entre l'armée et sa passion pour Napoléon, et le clergé, qui lui a permis d'effectuer ses études et a donc favorisé son ascension sociale.

Mais c’est aussi l’histoire d’un apprentissage sentimental : c’est en séduisant que Julien va assurer sa progression sociale. C’est la raison pour laquelle c’est un roman psychologique : tout y passe, ses pensées intérieures, son amour, ses ambitions, tout est analysé par le regard au laser de Stendhal, que ce soit chez Julien, chez Mme de Rênal ou chez Mme de La Mole. Tout le monde est nu sous la plume de Stendhal ! Cela peut être une autre signification du titre : le rouge, c’est la couleur de l’amour, le noir, celle de l’ascension sociale. Et tout le roman est la relation qu’entretiennent l’un et l’autre chez Julien.

Dans le passage qu’on va commenter, Julien rencontre pour la première fois Mme de Rênal qui va devenir son premier grand amour. Sauf que là, ni l’un ni l’autre ne se connaissent. Julien vient pour devenir précepteur des enfants de Mme de Rênal, la meuf de M. de Rênal, le maire-boss de la ville. Sauf qu’avant, le Juju, il était dans sa famille où personne sait lire : c’est l’intello de la famille et son paternel il supporte pas que son gamin soit une loque doublée d’une femmelette. Mais ça Louise de Rênal, elle le sait pas. Donc elle s’attend à voir débarquer un gros bûcheron austère qui va fouetter ses fils s’ils sont mauvais en latin.

Sauf que Juju, c’est pas ça : c’est de la tendresse, de l’ambition et un gros cœur qui va tomber in love. C’est le théâtre des sentiments, avec tous les jeux de scènes et les tragi-comédies qui vont avec.




Julien Sorel rencontre Madame de Rênal - Stendhal

Non so più cosa son,

Cosa facio.

MOZART. (Figaro).

Avec la vivacité et la grâce qui lui étaient naturelles quand elle était loin des regards des hommes, madame de Rênal sortait par la porte-fenêtre du salon qui donnait sur le jardin, quand elle aperçut près de la porte d’entrée la figure d’un jeune paysan presque encore enfant, extrêmement pâle et qui venait de pleurer. Il était en chemise bien blanche, et avait sous le bras une veste fort propre de ratine violette.

Le teint de ce petit paysan était si blanc, ses yeux si doux, que l’esprit un peu romanesque de madame de Rênal eut d’abord l’idée que ce pouvait être une jeune fille déguisée, qui venait demander quelque grâce à M. le maire. Elle eut pitié de cette pauvre créature, arrêtée à la porte d’entrée, et qui évidemment n’osait pas lever la main jusqu’à la sonnette. Madame de Rênal s’approcha, distraite un instant de l’amer chagrin que lui donnait l’arrivée du précepteur. Julien, tourné vers la porte, ne la voyait pas s’avancer. Il tressaillit quand une voix douce dit tout près de son oreille :

— Que voulez-vous ici, mon enfant ?

Julien se tourna vivement, et frappé du regard si rempli de grâce de madame de Rênal, il oublia une partie de sa timidité. Bientôt, étonné de sa beauté, il oublia tout, même ce qu’il venait faire. Madame de Rênal avait répété sa question.

— Je viens pour être précepteur, madame, lui dit-il enfin, tout honteux de ses larmes qu’il essuyait de son mieux.

Madame de Rênal resta interdite ; ils étaient fort près l’un de l’autre à se regarder. Julien n’avait jamais vu un être aussi bien vêtu et surtout une femme avec un teint si éblouissant, lui parler d’un air doux. Madame de Rênal regardait les grosses larmes, qui s’étaient arrêtées sur les joues si pâles d’abord et maintenant si roses de ce jeune paysan. Bientôt elle se mit à rire, avec toute la gaieté folle d’une jeune fille ; elle se moquait d’elle-même et ne pouvait se figurer tout son bonheur. Quoi, c’était là ce précepteur qu’elle s’était figuré comme un prêtre sale et mal vêtu, qui viendrait gronder et fouetter ses enfants !

Non so più cosa son,

Cosa facio.

MOZART. (Figaro).

Avec la vivacité et la grâce qui lui étaient naturelles quand elle était loin des regards des hommes, madame de Rênal sortait par la porte-fenêtre du salon qui donnait sur le jardin, quand elle aperçut près de la porte d’entrée la figure d’un jeune paysan presque encore enfant, extrêmement pâle et qui venait de pleurer. Il était en chemise bien blanche, et avait sous le bras une veste fort propre de ratine violette.

Le teint de ce petit paysan était si blanc, ses yeux si doux, que l’esprit un peu romanesque de madame de Rênal eut d’abord l’idée que ce pouvait être une jeune fille déguisée, qui venait demander quelque grâce à M. le maire. Elle eut pitié de cette pauvre créature, arrêtée à la porte d’entrée, et qui évidemment n’osait pas lever la main jusqu’à la sonnette. Madame de Rênal s’approcha, distraite un instant de l’amer chagrin que lui donnait l’arrivée du précepteur. Julien, tourné vers la porte, ne la voyait pas s’avancer. Il tressaillit quand une voix douce dit tout près de son oreille :

— Que voulez-vous ici, mon enfant ?

Julien se tourna vivement, et frappé du regard si rempli de grâce de madame de Rênal, il oublia une partie de sa timidité. Bientôt, étonné de sa beauté, il oublia tout, même ce qu’il venait faire. Madame de Rênal avait répété sa question.

— Je viens pour être précepteur, madame, lui dit-il enfin, tout honteux de ses larmes qu’il essuyait de son mieux.

Madame de Rênal resta interdite ; ils étaient fort près l’un de l’autre à se regarder. Julien n’avait jamais vu un être aussi bien vêtu et surtout une femme avec un teint si éblouissant, lui parler d’un air doux. Madame de Rênal regardait les grosses larmes, qui s’étaient arrêtées sur les joues si pâles d’abord et maintenant si roses de ce jeune paysan. Bientôt elle se mit à rire, avec toute la gaieté folle d’une jeune fille ; elle se moquait d’elle-même et ne pouvait se figurer tout son bonheur. Quoi, c’était là ce précepteur qu’elle s’était figuré comme un prêtre sale et mal vêtu, qui viendrait gronder et fouetter ses enfants !




Julien Sorel rencontre Madame de Rênal - Stendhal

I. Une scène de quiproquo du point de vue du narrateur

(« Avec la vivacité… de ratine violette »)

1. Une scène de théâtre transposée dans un roman

Début de chapitre placé sous le signe de la tradition comique italienne avec une citation des Noces de Figaro de Mozart. Pour rappel, cet opéra est une adaptation de la pièce de théâtre de Beaumarchais, le Mariage de Figaro (XVIIIème siècle). Cette dédicace va donner tout son sens au passage qui est en fait la reprise d’un procédé comique conventionnel du théâtre et transposé dans le roman: le quiproquo. C’est donc une scène de théâtre dans du roman.

Le quiproquo se manifeste dans la double énonciation au sens où le lecteur en sait plus que les personnages, notamment leurs appréhensions (dispute avec le père, rappelée par les larmes ; angoisse de mère) : d'où l'incompréhension de Madame de Rênal dont le lecteur est le témoin qui lui sait qu’il s’agit de Julien qui arrive (le « jeune paysan »).

2. Une situation décalée

Cette situation de quiproquo est accentué par la description concrète de l’espace : jeu de regard, positionnement dans l'espace (« loin du regard des hommes »). Le contexte marqué par l'intimité et le secret - et la porte dérobée – de la « porte-fenêtre ».

3. Focalisation omnisciente

La focalisation au début de ce passage est extra-diégétique et omniscient (terme technique pour dire que le narrateur, celui qui décrit la scène, est extérieur à ladite scène) : on voit la scène du point de vue extérieur qui décrit Madame de Rênal et comment elle réagit à l’arrivée de Julien. La caractérisation et généralisation d'une attitude de Mme de Rênal qui renforce l'effet de réel et la consistance psychologique du personnage

II. Changement de point de vue : la compassion de Madame de Rênal

(« Le teint de ce petit paysan… Que voulez-vous ici, mon enfant ? »)

1. Variation de focalisation

Le second mouvement du texte change la focalisation en nous mettant en focalisation interne : la scène est maintenant vue du point de vue de Madame de Rênal. Ce décalage romanesque accentue le quiproquo théâtral. Le narrateur nous le décrit directement les pensée de Madame de Rênal : « que l’esprit un peu romanesque de madame de Rênal eut d’abord l’idée ».
Le lecteur a maintenant accès aux pensées et phantasmes de Mme de Rênal (ce qui participe à l’esprit « romanesque » du passage). Importance du champ lexical de la vue et du regard : Mme de Rênal domine la scène en voyant sans être vue. D'où le jeu de surprise marqué par le verbe « tressaillir » et l'emploi de l'adverbe « tout près », caractérisant une sorte d'espièglerie, de taquinerie des deux personnages, comme si elle s'était penchée sur lui pour le surprendre. Ici le décalage joue du passage du registre visuel à celui sonore : mention de l'oreille puis emploi du discours direct (« Que voulez-vous ici, mon enfant »).

2. La compassion de Mme de Rênal

Projection d'une affection toute maternelle dans la description prêtée à Julien : dans le premier paragraphe, elle considérait Julien « presque encore enfant » (ici la nuance adverbiale marque la subjectivité). Il y a une gradation puisque d’enfant il devient « petit paysan » et même « une jeune fille déguisée », puis « cette pauvre créature ».

La compassion est explicitée par la suite : marqueurs intensifs et construction consécutive -« si... si... que... » autour de traits associées à l'innocence (blancheur, douceur) et aboutissant à la figure de la femme en détresse (thème de la faiblesse) avec emploi de la dénomination « M. Le Maire » au lieu de M de Rênal (autorité). Utilisation de l’adverbe « évidemment » qui est un marqueur subjectif des spéculations de Mme de Rênal : l'autre est perçu comme intimidé à l'idée de sonner pour solliciter de l'aide, d'où la pitié décuplée.

3. Une relation châtrée

D'emblée projection d'un sentiment maternel sur la figure de Julien, ce qui contrevient aux canons de la rencontre amoureuse et du coup de foudre. Lui est d'emblée désigné par un statut social : « paysan », donc inaccessible apriori pour elle- et un âge -« jeune », aussitôt nuancé par les qualificatifs et adverbes pour en faire un enfant digne d'une attention maternelle.

Il y a comme une neutralisation de toute ambivalence : encore plus manifeste avec le jeu des désignations sexuelles - « jeune-fille déguisée » puis indéfinition de « créature » qui permet de rester à la forme féminine (« elle ») ou encore « mon enfant » (qui vient du latin « infans », de genre neutre). Ici un décalage qui recoupe le quiproquo (paysan/précepteur et homme/femme), bientôt dépassé avec le teint des joues : pâleur féminine, rougeur masculine et paysanne. Comme une virilité problématique propre à la génération romantique ciblée ici.

III. Dernier changement de pont de vue : l'admiration de Julien et la naissance de l’amour

(« Madame de Rênal resta interdite… qui viendrait gronder et fouetter ses enfants ! »)

1. Julien amoureux de Madame de Rênal

D'emblée Mme de Rênal pénètre dans le monde de Julien par une qualification méliorative (« une voix douce ») et une situation d'intimité, de promiscuité (« tout près »). Caractère brusque de cette première impression (« tressaillit », « vivement », « frappé ») : on devine une émotion violente qui ne le laisse pas neutre, d'où le lien de conséquence avec la tournure intensive « si rempli... » et l'emploi de participe passé -témoignant de sa passivité, sa stupéfaction « frappé », « étonné ». Dans la répétition de la question et l'oubli qui marque Julien, on devine aussi la stupéfaction admirative. Par la suite, dans la suspension des regards contemplatifs, association d'adverbes intensifs (« si... », « aussi bien... ») avec des caractérisations mélioratives (élégance, beauté, douceur). « Eblouissant » témoigne d’un éloge quasi-hyperbolique.

2. Une confusion comique

Cette rencontre est quasi comique dans le renversement et la confusion des personnages alors que le quiproquo se dénoue : le lecteur comprend enfin la citation « je ne sais ce que je suis, ce que je fais », dans la bouche de Chérubin, jeune adolescent fantasque et exalté comme Julien. On peut noter l’enchaînement comique avec Julien qui abandonne sa gêne mais qui dans un second temps perd ses moyens (parallélisme « oublia une partie » et « oublia tout », articulé par le connecteur temporel « bientôt » : surprise en deux étapes, « frappé » par le regard puis « étonné » par la beauté).

Emploi du plus que parfait pour marquer le retard dans la réponse. A la consternation de Julien répond aussitôt celle de Mme de Rênal qui est « interdite ». Suspension d'un instant de contemplation mutuelle qui rend la situation inconvenante : les regards sont appuyés, il y a de la proximité physique. Enfin, c’est l’explosion de l'émotion comique qui déclenche le rire, avec la moquerie et le décalage ironique (interjection « quoi », plus que parfait et conditionnel).

3. La métamorphose finale : de la badinerie enfantine à l’amour adulte naissant, de la comédie au roman.

La fin du passage est un dénouement, dans le sens où tout ce qui était sous-jacent se résout. La virilité de Julien ne se réduit pas à l'impuissance ou au comique : comme il y avait de la duplicité dans le quiproquo, Julien est un être double (pâle/rougeaud ; paysan/instruit ; mélancolique/énergique), et il parvient à renverser cette situation initiale de comédie pour en faire la naissance d’un amour romanesque.

L'absence de méfiance met Mme de Rênal dans une situation inconvenante et impudique (apparence d'une badinerie amoureuse avec l'arrivée dans le dos, proximité des corps et regards trop marqués). D'où ambivalence de la joie retrouvée à la fin : « avec toute la gaieté folle d'une jeune-fille », forme hyperbolique (intensif « toute ») qui la métamorphose de l'épouse de M. de Rênal à la jeune fille qui va tomber amoureuse de Julien , ce qui est marqué par l’hyperbole pour « ne pouvait se figurer tout son bonheur » (reprise de l'intensif « tout » comme une exaltation du sentiment, un trop-plein -un coup de foudre implicite ou un simple soulagement?).

Nous avons donc deux métamorphoses parallèle : de Julien passe de l'enfant à l'homme et de l'épouse à la jeune-fille -d'où la préfiguration de la relation amoureuse à venir. Et aussi une troisième métamorphose, celle du texte lui-même, qui est passé d’une scène de théâtre comique avec un jeu des regards et un dialogue amoureux, à un discours romanesque fort, comme en témoigne l’usage du discours indirect libre dans la dernière phrase qui nous montre une Madame de Rênal rayonnante.

I. Une scène de quiproquo du point de vue du narrateur

(« Avec la vivacité… de ratine violette »)

1. Une scène de théâtre transposée dans un roman

Début de chapitre placé sous le signe de la tradition comique italienne avec une citation des Noces de Figaro de Mozart. Pour rappel, cet opéra est une adaptation de la pièce de théâtre de Beaumarchais, le Mariage de Figaro (XVIIIème siècle). Cette dédicace va donner tout son sens au passage qui est en fait la reprise d’un procédé comique conventionnel du théâtre et transposé dans le roman: le quiproquo. C’est donc une scène de théâtre dans du roman.

Le quiproquo se manifeste dans la double énonciation au sens où le lecteur en sait plus que les personnages, notamment leurs appréhensions (dispute avec le père, rappelée par les larmes ; angoisse de mère) : d'où l'incompréhension de Madame de Rênal dont le lecteur est le témoin qui lui sait qu’il s’agit de Julien qui arrive (le « jeune paysan »).

2. Une situation décalée

Cette situation de quiproquo est accentué par la description concrète de l’espace : jeu de regard, positionnement dans l'espace (« loin du regard des hommes »). Le contexte marqué par l'intimité et le secret - et la porte dérobée – de la « porte-fenêtre ».

3. Focalisation omnisciente

La focalisation au début de ce passage est extra-diégétique et omniscient (terme technique pour dire que le narrateur, celui qui décrit la scène, est extérieur à ladite scène) : on voit la scène du point de vue extérieur qui décrit Madame de Rênal et comment elle réagit à l’arrivée de Julien. La caractérisation et généralisation d'une attitude de Mme de Rênal qui renforce l'effet de réel et la consistance psychologique du personnage

II. Changement de point de vue : la compassion de Madame de Rênal

(« Le teint de ce petit paysan… Que voulez-vous ici, mon enfant ? »)

1. Variation de focalisation

Le second mouvement du texte change la focalisation en nous mettant en focalisation interne : la scène est maintenant vue du point de vue de Madame de Rênal. Ce décalage romanesque accentue le quiproquo théâtral. Le narrateur nous le décrit directement les pensée de Madame de Rênal : « que l’esprit un peu romanesque de madame de Rênal eut d’abord l’idée ».
Le lecteur a maintenant accès aux pensées et phantasmes de Mme de Rênal (ce qui participe à l’esprit « romanesque » du passage). Importance du champ lexical de la vue et du regard : Mme de Rênal domine la scène en voyant sans être vue. D'où le jeu de surprise marqué par le verbe « tressaillir » et l'emploi de l'adverbe « tout près », caractérisant une sorte d'espièglerie, de taquinerie des deux personnages, comme si elle s'était penchée sur lui pour le surprendre. Ici le décalage joue du passage du registre visuel à celui sonore : mention de l'oreille puis emploi du discours direct (« Que voulez-vous ici, mon enfant »).

2. La compassion de Mme de Rênal

Projection d'une affection toute maternelle dans la description prêtée à Julien : dans le premier paragraphe, elle considérait Julien « presque encore enfant » (ici la nuance adverbiale marque la subjectivité). Il y a une gradation puisque d’enfant il devient « petit paysan » et même « une jeune fille déguisée », puis « cette pauvre créature ».

La compassion est explicitée par la suite : marqueurs intensifs et construction consécutive -« si... si... que... » autour de traits associées à l'innocence (blancheur, douceur) et aboutissant à la figure de la femme en détresse (thème de la faiblesse) avec emploi de la dénomination « M. Le Maire » au lieu de M de Rênal (autorité). Utilisation de l’adverbe « évidemment » qui est un marqueur subjectif des spéculations de Mme de Rênal : l'autre est perçu comme intimidé à l'idée de sonner pour solliciter de l'aide, d'où la pitié décuplée.

3. Une relation châtrée

D'emblée projection d'un sentiment maternel sur la figure de Julien, ce qui contrevient aux canons de la rencontre amoureuse et du coup de foudre. Lui est d'emblée désigné par un statut social : « paysan », donc inaccessible apriori pour elle- et un âge -« jeune », aussitôt nuancé par les qualificatifs et adverbes pour en faire un enfant digne d'une attention maternelle.

Il y a comme une neutralisation de toute ambivalence : encore plus manifeste avec le jeu des désignations sexuelles - « jeune-fille déguisée » puis indéfinition de « créature » qui permet de rester à la forme féminine (« elle ») ou encore « mon enfant » (qui vient du latin « infans », de genre neutre). Ici un décalage qui recoupe le quiproquo (paysan/précepteur et homme/femme), bientôt dépassé avec le teint des joues : pâleur féminine, rougeur masculine et paysanne. Comme une virilité problématique propre à la génération romantique ciblée ici.

III. Dernier changement de pont de vue : l'admiration de Julien et la naissance de l’amour

(« Madame de Rênal resta interdite… qui viendrait gronder et fouetter ses enfants ! »)

1. Julien amoureux de Madame de Rênal

D'emblée Mme de Rênal pénètre dans le monde de Julien par une qualification méliorative (« une voix douce ») et une situation d'intimité, de promiscuité (« tout près »). Caractère brusque de cette première impression (« tressaillit », « vivement », « frappé ») : on devine une émotion violente qui ne le laisse pas neutre, d'où le lien de conséquence avec la tournure intensive « si rempli... » et l'emploi de participe passé -témoignant de sa passivité, sa stupéfaction « frappé », « étonné ». Dans la répétition de la question et l'oubli qui marque Julien, on devine aussi la stupéfaction admirative. Par la suite, dans la suspension des regards contemplatifs, association d'adverbes intensifs (« si... », « aussi bien... ») avec des caractérisations mélioratives (élégance, beauté, douceur). « Eblouissant » témoigne d’un éloge quasi-hyperbolique.

2. Une confusion comique

Cette rencontre est quasi comique dans le renversement et la confusion des personnages alors que le quiproquo se dénoue : le lecteur comprend enfin la citation « je ne sais ce que je suis, ce que je fais », dans la bouche de Chérubin, jeune adolescent fantasque et exalté comme Julien. On peut noter l’enchaînement comique avec Julien qui abandonne sa gêne mais qui dans un second temps perd ses moyens (parallélisme « oublia une partie » et « oublia tout », articulé par le connecteur temporel « bientôt » : surprise en deux étapes, « frappé » par le regard puis « étonné » par la beauté).

Emploi du plus que parfait pour marquer le retard dans la réponse. A la consternation de Julien répond aussitôt celle de Mme de Rênal qui est « interdite ». Suspension d'un instant de contemplation mutuelle qui rend la situation inconvenante : les regards sont appuyés, il y a de la proximité physique. Enfin, c’est l’explosion de l'émotion comique qui déclenche le rire, avec la moquerie et le décalage ironique (interjection « quoi », plus que parfait et conditionnel).

3. La métamorphose finale : de la badinerie enfantine à l’amour adulte naissant, de la comédie au roman.

La fin du passage est un dénouement, dans le sens où tout ce qui était sous-jacent se résout. La virilité de Julien ne se réduit pas à l'impuissance ou au comique : comme il y avait de la duplicité dans le quiproquo, Julien est un être double (pâle/rougeaud ; paysan/instruit ; mélancolique/énergique), et il parvient à renverser cette situation initiale de comédie pour en faire la naissance d’un amour romanesque.

L'absence de méfiance met Mme de Rênal dans une situation inconvenante et impudique (apparence d'une badinerie amoureuse avec l'arrivée dans le dos, proximité des corps et regards trop marqués). D'où ambivalence de la joie retrouvée à la fin : « avec toute la gaieté folle d'une jeune-fille », forme hyperbolique (intensif « toute ») qui la métamorphose de l'épouse de M. de Rênal à la jeune fille qui va tomber amoureuse de Julien , ce qui est marqué par l’hyperbole pour « ne pouvait se figurer tout son bonheur » (reprise de l'intensif « tout » comme une exaltation du sentiment, un trop-plein -un coup de foudre implicite ou un simple soulagement?).

Nous avons donc deux métamorphoses parallèle : de Julien passe de l'enfant à l'homme et de l'épouse à la jeune-fille -d'où la préfiguration de la relation amoureuse à venir. Et aussi une troisième métamorphose, celle du texte lui-même, qui est passé d’une scène de théâtre comique avec un jeu des regards et un dialogue amoureux, à un discours romanesque fort, comme en témoigne l’usage du discours indirect libre dans la dernière phrase qui nous montre une Madame de Rênal rayonnante.

I. Une scène de quiproquo du point de vue du narrateur

(« Avec la vivacité… de ratine violette »)

1. Une scène de théâtre transposée dans un roman

Début de chapitre placé sous le signe de la tradition comique italienne avec une citation des Noces de Figaro de Mozart. Pour rappel, cet opéra est une adaptation de la pièce de théâtre de Beaumarchais, le Mariage de Figaro (XVIIIème siècle). Cette dédicace va donner tout son sens au passage qui est en fait la reprise d’un procédé comique conventionnel du théâtre et transposé dans le roman: le quiproquo. C’est donc une scène de théâtre dans du roman.

Le quiproquo se manifeste dans la double énonciation au sens où le lecteur en sait plus que les personnages, notamment leurs appréhensions (dispute avec le père, rappelée par les larmes ; angoisse de mère) : d'où l'incompréhension de Madame de Rênal dont le lecteur est le témoin qui lui sait qu’il s’agit de Julien qui arrive (le « jeune paysan »).

2. Une situation décalée

Cette situation de quiproquo est accentué par la description concrète de l’espace : jeu de regard, positionnement dans l'espace (« loin du regard des hommes »). Le contexte marqué par l'intimité et le secret - et la porte dérobée – de la « porte-fenêtre ».

3. Focalisation omnisciente

La focalisation au début de ce passage est extra-diégétique et omniscient (terme technique pour dire que le narrateur, celui qui décrit la scène, est extérieur à ladite scène) : on voit la scène du point de vue extérieur qui décrit Madame de Rênal et comment elle réagit à l’arrivée de Julien. La caractérisation et généralisation d'une attitude de Mme de Rênal qui renforce l'effet de réel et la consistance psychologique du personnage

II. Changement de point de vue : la compassion de Madame de Rênal

(« Le teint de ce petit paysan… Que voulez-vous ici, mon enfant ? »)

1. Variation de focalisation

Le second mouvement du texte change la focalisation en nous mettant en focalisation interne : la scène est maintenant vue du point de vue de Madame de Rênal. Ce décalage romanesque accentue le quiproquo théâtral. Le narrateur nous le décrit directement les pensée de Madame de Rênal : « que l’esprit un peu romanesque de madame de Rênal eut d’abord l’idée ».
Le lecteur a maintenant accès aux pensées et phantasmes de Mme de Rênal (ce qui participe à l’esprit « romanesque » du passage). Importance du champ lexical de la vue et du regard : Mme de Rênal domine la scène en voyant sans être vue. D'où le jeu de surprise marqué par le verbe « tressaillir » et l'emploi de l'adverbe « tout près », caractérisant une sorte d'espièglerie, de taquinerie des deux personnages, comme si elle s'était penchée sur lui pour le surprendre. Ici le décalage joue du passage du registre visuel à celui sonore : mention de l'oreille puis emploi du discours direct (« Que voulez-vous ici, mon enfant »).

2. La compassion de Mme de Rênal

Projection d'une affection toute maternelle dans la description prêtée à Julien : dans le premier paragraphe, elle considérait Julien « presque encore enfant » (ici la nuance adverbiale marque la subjectivité). Il y a une gradation puisque d’enfant il devient « petit paysan » et même « une jeune fille déguisée », puis « cette pauvre créature ».

La compassion est explicitée par la suite : marqueurs intensifs et construction consécutive -« si... si... que... » autour de traits associées à l'innocence (blancheur, douceur) et aboutissant à la figure de la femme en détresse (thème de la faiblesse) avec emploi de la dénomination « M. Le Maire » au lieu de M de Rênal (autorité). Utilisation de l’adverbe « évidemment » qui est un marqueur subjectif des spéculations de Mme de Rênal : l'autre est perçu comme intimidé à l'idée de sonner pour solliciter de l'aide, d'où la pitié décuplée.

3. Une relation châtrée

D'emblée projection d'un sentiment maternel sur la figure de Julien, ce qui contrevient aux canons de la rencontre amoureuse et du coup de foudre. Lui est d'emblée désigné par un statut social : « paysan », donc inaccessible apriori pour elle- et un âge -« jeune », aussitôt nuancé par les qualificatifs et adverbes pour en faire un enfant digne d'une attention maternelle.

Il y a comme une neutralisation de toute ambivalence : encore plus manifeste avec le jeu des désignations sexuelles - « jeune-fille déguisée » puis indéfinition de « créature » qui permet de rester à la forme féminine (« elle ») ou encore « mon enfant » (qui vient du latin « infans », de genre neutre). Ici un décalage qui recoupe le quiproquo (paysan/précepteur et homme/femme), bientôt dépassé avec le teint des joues : pâleur féminine, rougeur masculine et paysanne. Comme une virilité problématique propre à la génération romantique ciblée ici.

III. Dernier changement de pont de vue : l'admiration de Julien et la naissance de l’amour

(« Madame de Rênal resta interdite… qui viendrait gronder et fouetter ses enfants ! »)

1. Julien amoureux de Madame de Rênal

D'emblée Mme de Rênal pénètre dans le monde de Julien par une qualification méliorative (« une voix douce ») et une situation d'intimité, de promiscuité (« tout près »). Caractère brusque de cette première impression (« tressaillit », « vivement », « frappé ») : on devine une émotion violente qui ne le laisse pas neutre, d'où le lien de conséquence avec la tournure intensive « si rempli... » et l'emploi de participe passé -témoignant de sa passivité, sa stupéfaction « frappé », « étonné ». Dans la répétition de la question et l'oubli qui marque Julien, on devine aussi la stupéfaction admirative. Par la suite, dans la suspension des regards contemplatifs, association d'adverbes intensifs (« si... », « aussi bien... ») avec des caractérisations mélioratives (élégance, beauté, douceur). « Eblouissant » témoigne d’un éloge quasi-hyperbolique.

2. Une confusion comique

Cette rencontre est quasi comique dans le renversement et la confusion des personnages alors que le quiproquo se dénoue : le lecteur comprend enfin la citation « je ne sais ce que je suis, ce que je fais », dans la bouche de Chérubin, jeune adolescent fantasque et exalté comme Julien. On peut noter l’enchaînement comique avec Julien qui abandonne sa gêne mais qui dans un second temps perd ses moyens (parallélisme « oublia une partie » et « oublia tout », articulé par le connecteur temporel « bientôt » : surprise en deux étapes, « frappé » par le regard puis « étonné » par la beauté).

Emploi du plus que parfait pour marquer le retard dans la réponse. A la consternation de Julien répond aussitôt celle de Mme de Rênal qui est « interdite ». Suspension d'un instant de contemplation mutuelle qui rend la situation inconvenante : les regards sont appuyés, il y a de la proximité physique. Enfin, c’est l’explosion de l'émotion comique qui déclenche le rire, avec la moquerie et le décalage ironique (interjection « quoi », plus que parfait et conditionnel).

3. La métamorphose finale : de la badinerie enfantine à l’amour adulte naissant, de la comédie au roman.

La fin du passage est un dénouement, dans le sens où tout ce qui était sous-jacent se résout. La virilité de Julien ne se réduit pas à l'impuissance ou au comique : comme il y avait de la duplicité dans le quiproquo, Julien est un être double (pâle/rougeaud ; paysan/instruit ; mélancolique/énergique), et il parvient à renverser cette situation initiale de comédie pour en faire la naissance d’un amour romanesque.

L'absence de méfiance met Mme de Rênal dans une situation inconvenante et impudique (apparence d'une badinerie amoureuse avec l'arrivée dans le dos, proximité des corps et regards trop marqués). D'où ambivalence de la joie retrouvée à la fin : « avec toute la gaieté folle d'une jeune-fille », forme hyperbolique (intensif « toute ») qui la métamorphose de l'épouse de M. de Rênal à la jeune fille qui va tomber amoureuse de Julien , ce qui est marqué par l’hyperbole pour « ne pouvait se figurer tout son bonheur » (reprise de l'intensif « tout » comme une exaltation du sentiment, un trop-plein -un coup de foudre implicite ou un simple soulagement?).

Nous avons donc deux métamorphoses parallèle : de Julien passe de l'enfant à l'homme et de l'épouse à la jeune-fille -d'où la préfiguration de la relation amoureuse à venir. Et aussi une troisième métamorphose, celle du texte lui-même, qui est passé d’une scène de théâtre comique avec un jeu des regards et un dialogue amoureux, à un discours romanesque fort, comme en témoigne l’usage du discours indirect libre dans la dernière phrase qui nous montre une Madame de Rênal rayonnante.