À une passante - Charles Baudelaire

      Bien. A présent on va apprendre à commenter de la poésie, et pas n'importe laquelle puisqu'il s'agit de poésie lyrique. A quoi reconnaît-on cela? Aux vers et aux émotions pour poète.

      Le poète précisément : Baudelaire, au programme du bac pour cette année 2020. L'extrait provient des Fleurs du mal, son oeuvre au programme donc. Il s'agit d'un sonnet, c'est-à-dire d'un poème composé de 4 strophes, 2 de 4 vers (quatrains) et 2 de 3 vers (tercet), avec des alexandrins (vers de 12 temps).

      Un sonnet, des alexandrins ; en poésie gauloise, tu ne peux pas faire plus classique...

      Et pourtant, c'est ultra-moderne! C'est un exemple caractéristique de cette alchimie poétique vantée par Baudelaire, et par l'Education nationale dans ses sujets de dissertation : le quotidien sinistre de la ville moderne ouvre sur l'apparition d'une Beauté absolue, sur l'intuition d'un idéal éternel, en la personne d'une passante trop canon.

      Bref l'instant passager où poète et inconnue se croisent devient un morceau d'éternité gravé dans le marbre du texte poétique. Alchimie poétique, t'as capté?... Voyons donc ça de plus près!

      Bien. A présent on va apprendre à commenter de la poésie, et pas n'importe laquelle puisqu'il s'agit de poésie lyrique. A quoi reconnaît-on cela? Aux vers et aux émotions pour poète.

      Le poète précisément : Baudelaire, au programme du bac pour cette année 2020. L'extrait provient des Fleurs du mal, son oeuvre au programme donc. Il s'agit d'un sonnet, c'est-à-dire d'un poème composé de 4 strophes, 2 de 4 vers (quatrains) et 2 de 3 vers (tercet), avec des alexandrins (vers de 12 temps).

      Un sonnet, des alexandrins ; en poésie gauloise, tu ne peux pas faire plus classique...

      Et pourtant, c'est ultra-moderne! C'est un exemple caractéristique de cette alchimie poétique vantée par Baudelaire, et par l'Education nationale dans ses sujets de dissertation : le quotidien sinistre de la ville moderne ouvre sur l'apparition d'une Beauté absolue, sur l'intuition d'un idéal éternel, en la personne d'une passante trop canon.

      Bref l'instant passager où poète et inconnue se croisent devient un morceau d'éternité gravé dans le marbre du texte poétique. Alchimie poétique, t'as capté?... Voyons donc ça de plus près!




À une passante - Charles Baudelaire

La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair… puis la nuit ! – Fugitive beauté
Dont le regard m’a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité?

Ailleurs, bien loin d’ici! trop tard! jamais peut-être!
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
O toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais!

La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair… puis la nuit ! – Fugitive beauté
Dont le regard m’a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité?

Ailleurs, bien loin d’ici! trop tard! jamais peut-être!
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
O toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais!




À une passante - Charles Baudelaire

I. L'apparition

1. Horreur de la rue

      Le poète part d'un cadre urbain anxiogène.

      Sensations sonores désagréables : vocabulaire du bruit (« assourdissante », « hurlait ») + allitération en « r » (ici =rudesse et brutalité) et assonances en « ou » et « u » (ici = lourdeur) + hiatus « rue_assourdissante » (succession de deux voyelles qu'il faut dissocier de manière inhabituelle à cause du rythme du vers) d'où une impression gênante pour l'oreille.
      Violence subie par le poète : séparation du sujet et du verbe par un CCLieu (complément circonstanciel de lieu : « autour de moi »), qui crée un effet d'attente chez le lecteur pressé d'arriver au bout du vers comme le poète au bout de sa virée en ville...
      Surtout personnification de la rue avec le verbe de parole « hurlait », comme si la violence était intentionnellement dirigée contre le poète.

     Contrairement à la tradition, c'est au cœur d'un sombre quotidien, hostile et violent, que surgira l'inspiration poétique.

2. La marche cadencée

      La vision de la passante rompt avec cette ambiance négative et accapare l'attention du poète.

      Rupture totale : effet d'attente du 2ème vers avec une accumulation de compléments sans qu'on sache à quoi ils se rapportent + révélation au 3ème vers avec le sujet « une femme » ; d'où le jeu d'opposition : bruits de la rue/vision de la femme // vie urbaine/thème de la mort avec le deuil.
      Approche progressive, de la silhouette générale (2ème vers) au détail du vêtement (4ème vers) alors que la femme et le poète se croisent ; parallèlement ralentissement du rythme avec une régularité apaisante (vers 2 : 1er hémistiche en 3 morceaux séparés par des virgules puis hémistiches de 6 temps typiques de l'alexandrin classique) ; régularité soulignée par la rime intérieur des participes présents en « -ant ».
Sensualité soulignée par l'allitération en « s » au fil du passage.

      Cette vision de la passante apaise le poète qui renoue avec un sentiment d'harmonie.

3. L'arrêt sur image

      Or cet instant de vie quotidienne débouche sur l'intuition d'un idéal absolu de beauté.

      Prolongement de la majesté et de la gravité (=sérieux associé au deuil) avec l'idée de noblesse → beauté morale qui se détache de la vie urbaine populaire.
      Paradoxe (contraire à la logique) de l'association entre agilité et statue → intensité de l'instant (fugace, d'où « agile ») qui semble durer une éternité (immobilité, d'où « statue ») ; de même il est étrange de désigner la « jambe » pourtant cachée par l'ample robe → apparition de la beauté nue, essentielle, sous les apparences du quotidien.
      Thème de l'idéal baudelairien associé à l'art de la sculpture et de la pierre figurant la Beauté parfaite : « rêve de pierre » dans le sonnet La Beauté.

      L'impression harmonieuse se transforme en intuition d'une Beauté idéale et éternelle.

II. Le désir

1. L'agitation grotesque

      La vision va donc éveiller le désir du poète jusqu'à la folie.

      Nouvelle rupture marquée par l'emploi du pronom tonique « moi » en tête de phrase, renforcé par l'opposition dans les attitudes (à l'agilité s'oppose la maladresse avec « crispé » ; à la noblesse l'ivresse avec le verbe « boire »)
      Impression générale de confusion et de désordre : la régularité de l'alexandrin vole en éclat (vers divisé en 1, 3 puis 8 temps par des virgules) ; la grammaire est bouleversée avec un écart entre le verbe (vers 6) et son COD(vers 8) ; enfin comparaison où « extravagant » renvoie étymologiquement à la folie.

      Confronté à l'intuition de la Beauté pure, le poète se révèle inférieur par son désir grotesque.

2. L'ambivalence de la beauté

      De fait s'affirme une douleur du poète au cœur de l'amour qu'il voue à cette Beauté incarnée.

      Moment-clé du regard croisé : d'où la mention centrale de « l'oeil » en cœur de la strophe, contact fugitif des 2 passants → sensualité appuyée par l'allitération en « s ».
      Mais violence de ce timide regard, d'où le lien entre beauté et mort : « ciel » qui renvoie à l'idéal / « livide » marquant l'aspect cadavérique ; plus encore parallélisme de construction du vers 8, ancré dans le rythme de l'alexandrin et ses 2 hémistiches, jouant sur l'antithèse de la « douceur » et du meurtre (« tue »)
      Violence marquée par la métaphore climatique (ici « l'ouragan » encore en germe et plus loin « l'éclair »)

      Cette rencontre avec une passante incarnant la Beauté idéale culmine dans cette violence du regard.

III. Un idéal inaccessible

1. L'instant fugace

      Mais la passante ne fait que passer, et bientôt il faut en faire le deuil.

      Une fois la passante croisée, le poète retombe dans la solitude : d'où la violence de la ponctuation (aposiopèse des points de suspension, et exclamative) renforcé par l'emploi de phrase nominale figurant la confusion mentale -incapacité de trouver les mots.
      Comble de l'antithèse jouant sur l'idée de clair-obscur avec « un éclair » et « la nuit » ; opposition renforcée par l'article indéfini « un » soulignant la rareté face à « la nuit » comme omniprésente.
      Rupture complète avec le tiret : déchirure au cœur de l'alexandrin marquant le passage de la présence au souvenir.

      Dès lors s'ouvre pour le poète l'espace du souvenir et du regret.

2. L'impossible amour

      Disparue, la passante continue de hanter les pensées du poète.

      D'où un rapprochement paradoxal dans cet éloignement réel de la passante et du poète : amorce d'un dialogue avec l'apostrophe « beauté fugitive », le tutoiement et la forme interrogative.
      Mais opposition entre le passé composé (« m'a fait ») et le futur (« verrai-je »), objet du questionnement, aboutissant sur le thème de « l'éternité », c'est à dire hors de tout temps (//l'au-delà de la mort) ; tournure restrictive (« ne... plus que... ») souligne le sentiment d'impuissance.

      Pour eux deux, il n'y a pas d'avenir possible...

3. L'éternité

      Or cette impuissance et le regret qu'elle porte nourrissent alors une force lyrique.

      D'où la gradation des exclamatives nominales, en cascade, du simple éloignement à l'impossibilité totale, marquant la réponse désespérée du poète à sa propre question.
      D'où la déclaration amoureuse formulée dans l'irréel du passé (subjonctif imparfait « j'eusse aimée », désignant ce qui n'a pas réellement eu lieu dans le passé, ici la relation amoureuse).
      Mais paradoxalement (=contrairement à la logique) en parallèle de cette idéalisation amoureuse, union redoublée dans le texte → chiasme : « j'ignore où tu fuis » / « tu ne sais où je vais » = je → tu / tu → je et parallélisme anaphorique avec les apostrophes emphatiques (pompeuses, solennelles) « O toi que... ô toi qui... »

      La force lyrique, portée par l'inspiration poétique et débouchant sur le poème, permet de donner une portée éternelle à un amour qui dans tous les cas n'aurait pu être que passager dans la réalité.

      Peut-être vaut-il mieux en rester à cet idéal, cet instant qui ouvre sur l'éternité que de chercher à avoir le snap de la passante.

      Ou peut-être le poète n'avait-il pas vraiment le choix en fait... ; )

I. L'apparition

1. Horreur de la rue

      Le poète part d'un cadre urbain anxiogène.

      Sensations sonores désagréables : vocabulaire du bruit (« assourdissante », « hurlait ») + allitération en « r » (ici =rudesse et brutalité) et assonances en « ou » et « u » (ici = lourdeur) + hiatus « rue_assourdissante » (succession de deux voyelles qu'il faut dissocier de manière inhabituelle à cause du rythme du vers) d'où une impression gênante pour l'oreille.
      Violence subie par le poète : séparation du sujet et du verbe par un CCLieu (complément circonstanciel de lieu : « autour de moi »), qui crée un effet d'attente chez le lecteur pressé d'arriver au bout du vers comme le poète au bout de sa virée en ville...
      Surtout personnification de la rue avec le verbe de parole « hurlait », comme si la violence était intentionnellement dirigée contre le poète.

     Contrairement à la tradition, c'est au cœur d'un sombre quotidien, hostile et violent, que surgira l'inspiration poétique.

2. La marche cadencée

      La vision de la passante rompt avec cette ambiance négative et accapare l'attention du poète.

      Rupture totale : effet d'attente du 2ème vers avec une accumulation de compléments sans qu'on sache à quoi ils se rapportent + révélation au 3ème vers avec le sujet « une femme » ; d'où le jeu d'opposition : bruits de la rue/vision de la femme // vie urbaine/thème de la mort avec le deuil.
      Approche progressive, de la silhouette générale (2ème vers) au détail du vêtement (4ème vers) alors que la femme et le poète se croisent ; parallèlement ralentissement du rythme avec une régularité apaisante (vers 2 : 1er hémistiche en 3 morceaux séparés par des virgules puis hémistiches de 6 temps typiques de l'alexandrin classique) ; régularité soulignée par la rime intérieur des participes présents en « -ant ».
Sensualité soulignée par l'allitération en « s » au fil du passage.

      Cette vision de la passante apaise le poète qui renoue avec un sentiment d'harmonie.

3. L'arrêt sur image

      Or cet instant de vie quotidienne débouche sur l'intuition d'un idéal absolu de beauté.

      Prolongement de la majesté et de la gravité (=sérieux associé au deuil) avec l'idée de noblesse → beauté morale qui se détache de la vie urbaine populaire.
      Paradoxe (contraire à la logique) de l'association entre agilité et statue → intensité de l'instant (fugace, d'où « agile ») qui semble durer une éternité (immobilité, d'où « statue ») ; de même il est étrange de désigner la « jambe » pourtant cachée par l'ample robe → apparition de la beauté nue, essentielle, sous les apparences du quotidien.
      Thème de l'idéal baudelairien associé à l'art de la sculpture et de la pierre figurant la Beauté parfaite : « rêve de pierre » dans le sonnet La Beauté.

      L'impression harmonieuse se transforme en intuition d'une Beauté idéale et éternelle.

II. Le désir

1. L'agitation grotesque

      La vision va donc éveiller le désir du poète jusqu'à la folie.

      Nouvelle rupture marquée par l'emploi du pronom tonique « moi » en tête de phrase, renforcé par l'opposition dans les attitudes (à l'agilité s'oppose la maladresse avec « crispé » ; à la noblesse l'ivresse avec le verbe « boire »)
      Impression générale de confusion et de désordre : la régularité de l'alexandrin vole en éclat (vers divisé en 1, 3 puis 8 temps par des virgules) ; la grammaire est bouleversée avec un écart entre le verbe (vers 6) et son COD(vers 8) ; enfin comparaison où « extravagant » renvoie étymologiquement à la folie.

      Confronté à l'intuition de la Beauté pure, le poète se révèle inférieur par son désir grotesque.

2. L'ambivalence de la beauté

      De fait s'affirme une douleur du poète au cœur de l'amour qu'il voue à cette Beauté incarnée.

      Moment-clé du regard croisé : d'où la mention centrale de « l'oeil » en cœur de la strophe, contact fugitif des 2 passants → sensualité appuyée par l'allitération en « s ».
      Mais violence de ce timide regard, d'où le lien entre beauté et mort : « ciel » qui renvoie à l'idéal / « livide » marquant l'aspect cadavérique ; plus encore parallélisme de construction du vers 8, ancré dans le rythme de l'alexandrin et ses 2 hémistiches, jouant sur l'antithèse de la « douceur » et du meurtre (« tue »)
      Violence marquée par la métaphore climatique (ici « l'ouragan » encore en germe et plus loin « l'éclair »)

      Cette rencontre avec une passante incarnant la Beauté idéale culmine dans cette violence du regard.

III. Un idéal inaccessible

1. L'instant fugace

      Mais la passante ne fait que passer, et bientôt il faut en faire le deuil.

      Une fois la passante croisée, le poète retombe dans la solitude : d'où la violence de la ponctuation (aposiopèse des points de suspension, et exclamative) renforcé par l'emploi de phrase nominale figurant la confusion mentale -incapacité de trouver les mots.
      Comble de l'antithèse jouant sur l'idée de clair-obscur avec « un éclair » et « la nuit » ; opposition renforcée par l'article indéfini « un » soulignant la rareté face à « la nuit » comme omniprésente.
      Rupture complète avec le tiret : déchirure au cœur de l'alexandrin marquant le passage de la présence au souvenir.

      Dès lors s'ouvre pour le poète l'espace du souvenir et du regret.

2. L'impossible amour

      Disparue, la passante continue de hanter les pensées du poète.

      D'où un rapprochement paradoxal dans cet éloignement réel de la passante et du poète : amorce d'un dialogue avec l'apostrophe « beauté fugitive », le tutoiement et la forme interrogative.
      Mais opposition entre le passé composé (« m'a fait ») et le futur (« verrai-je »), objet du questionnement, aboutissant sur le thème de « l'éternité », c'est à dire hors de tout temps (//l'au-delà de la mort) ; tournure restrictive (« ne... plus que... ») souligne le sentiment d'impuissance.

      Pour eux deux, il n'y a pas d'avenir possible...

3. L'éternité

      Or cette impuissance et le regret qu'elle porte nourrissent alors une force lyrique.

      D'où la gradation des exclamatives nominales, en cascade, du simple éloignement à l'impossibilité totale, marquant la réponse désespérée du poète à sa propre question.
      D'où la déclaration amoureuse formulée dans l'irréel du passé (subjonctif imparfait « j'eusse aimée », désignant ce qui n'a pas réellement eu lieu dans le passé, ici la relation amoureuse).
      Mais paradoxalement (=contrairement à la logique) en parallèle de cette idéalisation amoureuse, union redoublée dans le texte → chiasme : « j'ignore où tu fuis » / « tu ne sais où je vais » = je → tu / tu → je et parallélisme anaphorique avec les apostrophes emphatiques (pompeuses, solennelles) « O toi que... ô toi qui... »

      La force lyrique, portée par l'inspiration poétique et débouchant sur le poème, permet de donner une portée éternelle à un amour qui dans tous les cas n'aurait pu être que passager dans la réalité.

      Peut-être vaut-il mieux en rester à cet idéal, cet instant qui ouvre sur l'éternité que de chercher à avoir le snap de la passante.

      Ou peut-être le poète n'avait-il pas vraiment le choix en fait... ; )

I. L'apparition

1. Horreur de la rue

      Le poète part d'un cadre urbain anxiogène.

      Sensations sonores désagréables : vocabulaire du bruit (« assourdissante », « hurlait ») + allitération en « r » (ici =rudesse et brutalité) et assonances en « ou » et « u » (ici = lourdeur) + hiatus « rue_assourdissante » (succession de deux voyelles qu'il faut dissocier de manière inhabituelle à cause du rythme du vers) d'où une impression gênante pour l'oreille.
      Violence subie par le poète : séparation du sujet et du verbe par un CCLieu (complément circonstanciel de lieu : « autour de moi »), qui crée un effet d'attente chez le lecteur pressé d'arriver au bout du vers comme le poète au bout de sa virée en ville...
      Surtout personnification de la rue avec le verbe de parole « hurlait », comme si la violence était intentionnellement dirigée contre le poète.

     Contrairement à la tradition, c'est au cœur d'un sombre quotidien, hostile et violent, que surgira l'inspiration poétique.

2. La marche cadencée

      La vision de la passante rompt avec cette ambiance négative et accapare l'attention du poète.

      Rupture totale : effet d'attente du 2ème vers avec une accumulation de compléments sans qu'on sache à quoi ils se rapportent + révélation au 3ème vers avec le sujet « une femme » ; d'où le jeu d'opposition : bruits de la rue/vision de la femme // vie urbaine/thème de la mort avec le deuil.
      Approche progressive, de la silhouette générale (2ème vers) au détail du vêtement (4ème vers) alors que la femme et le poète se croisent ; parallèlement ralentissement du rythme avec une régularité apaisante (vers 2 : 1er hémistiche en 3 morceaux séparés par des virgules puis hémistiches de 6 temps typiques de l'alexandrin classique) ; régularité soulignée par la rime intérieur des participes présents en « -ant ».
Sensualité soulignée par l'allitération en « s » au fil du passage.

      Cette vision de la passante apaise le poète qui renoue avec un sentiment d'harmonie.

3. L'arrêt sur image

      Or cet instant de vie quotidienne débouche sur l'intuition d'un idéal absolu de beauté.

      Prolongement de la majesté et de la gravité (=sérieux associé au deuil) avec l'idée de noblesse → beauté morale qui se détache de la vie urbaine populaire.
      Paradoxe (contraire à la logique) de l'association entre agilité et statue → intensité de l'instant (fugace, d'où « agile ») qui semble durer une éternité (immobilité, d'où « statue ») ; de même il est étrange de désigner la « jambe » pourtant cachée par l'ample robe → apparition de la beauté nue, essentielle, sous les apparences du quotidien.
      Thème de l'idéal baudelairien associé à l'art de la sculpture et de la pierre figurant la Beauté parfaite : « rêve de pierre » dans le sonnet La Beauté.

      L'impression harmonieuse se transforme en intuition d'une Beauté idéale et éternelle.

II. Le désir

1. L'agitation grotesque

      La vision va donc éveiller le désir du poète jusqu'à la folie.

      Nouvelle rupture marquée par l'emploi du pronom tonique « moi » en tête de phrase, renforcé par l'opposition dans les attitudes (à l'agilité s'oppose la maladresse avec « crispé » ; à la noblesse l'ivresse avec le verbe « boire »)
      Impression générale de confusion et de désordre : la régularité de l'alexandrin vole en éclat (vers divisé en 1, 3 puis 8 temps par des virgules) ; la grammaire est bouleversée avec un écart entre le verbe (vers 6) et son COD(vers 8) ; enfin comparaison où « extravagant » renvoie étymologiquement à la folie.

      Confronté à l'intuition de la Beauté pure, le poète se révèle inférieur par son désir grotesque.

2. L'ambivalence de la beauté

      De fait s'affirme une douleur du poète au cœur de l'amour qu'il voue à cette Beauté incarnée.

      Moment-clé du regard croisé : d'où la mention centrale de « l'oeil » en cœur de la strophe, contact fugitif des 2 passants → sensualité appuyée par l'allitération en « s ».
      Mais violence de ce timide regard, d'où le lien entre beauté et mort : « ciel » qui renvoie à l'idéal / « livide » marquant l'aspect cadavérique ; plus encore parallélisme de construction du vers 8, ancré dans le rythme de l'alexandrin et ses 2 hémistiches, jouant sur l'antithèse de la « douceur » et du meurtre (« tue »)
      Violence marquée par la métaphore climatique (ici « l'ouragan » encore en germe et plus loin « l'éclair »)

      Cette rencontre avec une passante incarnant la Beauté idéale culmine dans cette violence du regard.

III. Un idéal inaccessible

1. L'instant fugace

      Mais la passante ne fait que passer, et bientôt il faut en faire le deuil.

      Une fois la passante croisée, le poète retombe dans la solitude : d'où la violence de la ponctuation (aposiopèse des points de suspension, et exclamative) renforcé par l'emploi de phrase nominale figurant la confusion mentale -incapacité de trouver les mots.
      Comble de l'antithèse jouant sur l'idée de clair-obscur avec « un éclair » et « la nuit » ; opposition renforcée par l'article indéfini « un » soulignant la rareté face à « la nuit » comme omniprésente.
      Rupture complète avec le tiret : déchirure au cœur de l'alexandrin marquant le passage de la présence au souvenir.

      Dès lors s'ouvre pour le poète l'espace du souvenir et du regret.

2. L'impossible amour

      Disparue, la passante continue de hanter les pensées du poète.

      D'où un rapprochement paradoxal dans cet éloignement réel de la passante et du poète : amorce d'un dialogue avec l'apostrophe « beauté fugitive », le tutoiement et la forme interrogative.
      Mais opposition entre le passé composé (« m'a fait ») et le futur (« verrai-je »), objet du questionnement, aboutissant sur le thème de « l'éternité », c'est à dire hors de tout temps (//l'au-delà de la mort) ; tournure restrictive (« ne... plus que... ») souligne le sentiment d'impuissance.

      Pour eux deux, il n'y a pas d'avenir possible...

3. L'éternité

      Or cette impuissance et le regret qu'elle porte nourrissent alors une force lyrique.

      D'où la gradation des exclamatives nominales, en cascade, du simple éloignement à l'impossibilité totale, marquant la réponse désespérée du poète à sa propre question.
      D'où la déclaration amoureuse formulée dans l'irréel du passé (subjonctif imparfait « j'eusse aimée », désignant ce qui n'a pas réellement eu lieu dans le passé, ici la relation amoureuse).
      Mais paradoxalement (=contrairement à la logique) en parallèle de cette idéalisation amoureuse, union redoublée dans le texte → chiasme : « j'ignore où tu fuis » / « tu ne sais où je vais » = je → tu / tu → je et parallélisme anaphorique avec les apostrophes emphatiques (pompeuses, solennelles) « O toi que... ô toi qui... »

      La force lyrique, portée par l'inspiration poétique et débouchant sur le poème, permet de donner une portée éternelle à un amour qui dans tous les cas n'aurait pu être que passager dans la réalité.

      Peut-être vaut-il mieux en rester à cet idéal, cet instant qui ouvre sur l'éternité que de chercher à avoir le snap de la passante.

      Ou peut-être le poète n'avait-il pas vraiment le choix en fait... ; )